Un éclat de rire résonna dans l’air. Parmi les rues sales et sombres de la ville, une femme courrait, tirant d’une main un jeune homme désarçonné et portant dans l’autre un sac lourd rempli de billets. Derrière eux résonnaient les klaxons, les cris des policiers qui les coursaient, les aboiements fous des chiens.
Si le jeune homme semblait sur le point de s’évanouir, la brune avait les yeux qui brillaient de délice. Une joie féroce courrait dans ses veines, sa gorge vibrait de rire excité, ses sens étaient décuplés. Elle se sentait inarrêtable.
- Agrippa ! cours plus vite !, ria-t-elle. Ils vont nous attraper !
- Mais QU’EST-CE QUI T’AS PRIS ?! POURQUOI TU AS DECIDE DE VOLER L’ARGENT DU GOUVERNEMENT ?!!! TU VEUX NOTRE MORT ?!!
Larissa ne fit qu’éclater de nouveau de rire. Quelques mois auparavant elle n’aurait jamais cru pouvoir rire comme ça de nouveau. Agrippa courut plus vite. Il avait peur. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait ni comment il en était arrivé là. Mais il avait peur. Bon, il fallait bien se l’avouer, il était surexcité aussi. Ça faisait un bien fou de se rebeller enfin et briser toutes les règles, ces règles qui les réduisaient à des moutons sans intellect et valeurs.
Depuis l’invasion de l’armée russe en France et l’installation d’un régime qui ne régissait que par la violence et la tyrannie, plus personne n’osait sortir – ne serait-ce qu’un peu ! -des rangs. Six mois auparavant 64 % de la population française avait été massacrés par des criminels engagés par le Tyran Moukine, dernièrement couronné Empereur d’Ievro – l’ancienne Europe. Les parents des deux enfants faisaient partis des victimes, tous deux ayant été mobilisés pour protéger le pays quand l’Armée Ressuscitée de Russie avait marché vers la France après avoir conquis l’Allemagne et l’Espagne en l’espace de seulement quatre mois.
Larissa et Agrippa avait depuis vécu dans un état constant de terreur, se cachant dans les égouts ou les décombres comme des rats. Alors pour quelle raison Larissa avait-elle décidé de briser toutes leurs règles pour un mouvement aussi grotesque et illogique ?
La brune, elle, ne semblait pas s’affecter des réflexions qui agitaient les neurones de son petit-ami. Elle tourna son regard vers le ciel. Avait-il été déjà aussi sombre ? Le couvre-feu forçait les gens à s’enfermer chez eux dès la septième heure de l’après-midi mais la nuit été toujours aussi claire que le jour, illuminée par les énormes monstres-lampes artificiels pour empêcher quiconque de fuir sans être immédiatement vu. Le ciel, cette nuit, était aussi noir que l’encre. Si beau. Si insaisissable.
- Le ciel n’est-il pas sublime ? ,lança-t-elle.
Agrippa lui jeta un regard ahuri. Puis il leva aussi la tête. Oui. Le ciel était beau cette nuit. Comme rassuré d’être couvert par l’ombre de Nox, il se détendit enfin et un rire jaillit de ses lèvres. Gagné par l’ivresse de sa compagne, il se laissa aller à sa folie. Ses pas se rallongèrent, ses sens se décuplèrent ; leur instinct de survie boosta leurs capacités à leur maximum, l’adrénaline brisant leurs limites.
La nuit était à eux ! Le monde tout entier était à eux ! Que les flics, les chiens et Moukine aillent se faire foutre ! Agrippa lâcha à hurlement sauvage au ciel, vite rejoint par Larissa.
Quelque part, de partout et nulle part à la fois, d’autres gens leur répondirent. On les acclamait ou on les huait, on les soutenait ou les maudissait. ET ALORS ?! Le gouvernement voulait étouffer les hommes. Voulait faire disparaître l’insubordination. Tuer la liberté.
- Ha ! Qu’il tente ! ,hurla Agrippa.
- On ne se terrera plus comme des rats ! On va sortir, vivre, devenir fou et mourir !
Ils étaient ensemble et libres. C’était tout ce qui comptait.
Teressa
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