Je me souviens surtout de mon réveil après la mort. Il faisait étonnement doux ce jour là. Les nuages gris filtraient la lumière, sans trop rendre l’espace ténébreux ou lugubre. Non, au contraire, le lieu était modestement neutre, ni trop clair, ni trop sombre. L’atmosphère ressemblait à ces ciels nuageux d’où émanent une lueur qui semble naître de nulle part.
Je sentais l’air autour de moi. Mais je le sentais, c’est tout. Il n’était pas assez particulier pour que je puisse le décrire précisément. Je ne voyais rien. Non pas parce qu’après la mort tout deviendrait noir mais plutôt parce que j’étais vêtu d’un suaire blanc. Et malgré le voile opaque qui me couvrait, je parvenais à me voir.
Je me voyais distinctement dans ce paysage calme et angoissant. La mort ne m’effrayait plus — quoi qu’elle ne m’ait jamais posé problème — car, en effet, j’étais déjà mort. Ce paysage, qui semblait mort, me faisait ressentir une émotion inconnue, une sensation que je n’avais pu éprouver de mon vivant : j’étais apaisé. Le trouble de la vie humaine me paraissait bien loin. Ces émotions qui témoignent du bouillonnement du corps et du cœur s’étaient évaporées. J’étais mort. Une fois le corps abandonné et l’âme détachée de ses liens terrestres, les émotions laissent place à la sérénité. Un silence profond put régner. Mon âme put se taire.
Pendant ce temps, j’avançais sur une modeste embarcation. J’étais sur l’eau, sensiblement. Le nocher, qui me conduisait, je ne le voyais que très peu, pour ne pas dire qu’il m’était invisible. Je crois, tout compte fait, qu’il n’existait pas vraiment. La barque aurait pu avancer sans lui, je serais toujours mort.
J’entendais empiriquement le clapotis de l’eau contre la berge toute proche. Ma barque s’approchait de l’île. Je ne sentais plus rien. Les derniers fils, qui s’accrochaient encore à mes sens, semblaient s’être décousus de mon âme. J’étais, car j’arrivais toujours à penser visiblement, mais aucune sensation, sauf peut-être des sensations extérieures à moi-même me parvenaient jusque-là.
Je ne flottais plus sur l’eau mais quelque part. J’étais persuadé d’être présent car je devais l’être et je pensais l’être mais je ne voyais rien de plus que mon suaire blanc. Et, insensiblement, je savais bien que j’existais encore un peu, mais comment ?
Et c’est alors que par un instinct étranger, je me décidai d’avancer. Je m’arrêtai ici et là. Les derniers liens me furent coupés. Et l’on raconte, par la suite, que je m’avançai dans une sombre forêt. Elle paraissait modeste et peu profonde. Des arbres, des cyprès, s’y érigeaient. Cette forêt m’engloutissait. Elle donnait cette impression de surface plate avec un fond dense et sombre. Je me rappelle y avoir marché longtemps, sans jamais m’arrêter.
Incapable de voir plus loin, je laissais la forêt me dévoiler son secret.
Mercure Galant
Très belle plume ! J'aime beaucoup ton histoire ❤️🖋️
j’ai beaucoup aimé la description que j’ai trouvé concrète et aérienne à la fois