Après une longue journée assis devant un bureau, à s’abimer les yeux sur les papiers à l’encre délavée et à écouter les jérémiades incessantes de son voisin de box, le bureaucrate avait déclaré qu’un verre de bourbon ne serait pas de trop.
C’est ainsi qu’il s’était retrouvé accoudé au comptoir d’un bar, le chapeau toujours sur la tête et les yeux dans le vague. Il était fatigué. Ce soir, comme chaque soir, il se retrouvait vagabond et même s’il se disait que l’alcool l’aidait, il ne ressentait aucune illumination soudaine.
- Alors c’était comment ce soir ?
L’homme releva la tête et observa le barman s’adresser aux seuls autres clients présents. Il devina qu’il s’agissait d’acteurs à leurs manières exagérés et leur maquillage excessif.
Et effectivement quand la jeune rousse – une étrangère qui ne maîtrisait pas encore parfaitement l’anglais - soupira, elle dit :
- Décevant. Comme tous les autres soirs. Je l’avais prédit à Roberto – le « r » roula sur sa langue comme un moteur -, les monologues, ça n’intéresse plus personne aujourd’hui.
- Mais non !
L’homme à côté – Roberto donc – se fâcha et regarda le barman avec un air courroucé.
- Anastasia exagère encore, c’était bien. Oui, bien.
La rousse s’offusqua avant de se mettre soudainement à rire.
- Il n’y avait peu de monde mais il est vrai qu’il y eu un moment très drôle. François – elle s’adressa au garçon avec un sourire complice -, Roberto t’a-t-il conté ce qu’il s’était passé au début du spectacle ?
Roberto s’agita visiblement mal à l’aise sur sa chaise et toussa discrètement dans son poing, tentant désespéramment de détourna l’attention du serveur d’Anastasia.
Comme celui-ci secoua la tête d’un signe négatif, la femme lui fit signe de se pencher vers elle. Elle lui chuchota le secret mais l’homme en costume n’écoutait plus l’inédite conversation, son secret à lui s’était réveillé. Il la sentait revenir – l’Inspiration. Cette fille pleine de malice au sourire pétillant l’avait de nouveau bousculé sans prévenir.
Le bureaucrate se releva brusquement, jeta les pièces sur le comptoir.
Ça y est, il revivait. Les couleurs reprenaient de la vigueur dans son esprit, les formes grandissaient sous ses doigts. Pressé, il marcha d’un pas vif vers son garage, transformé en atelier.
Il avait retrouvé sa voie de fer, il marchait droit et déterminé. Son âme avait retrouvé sa nature d’artiste, ses mains fourmillaient et son cœur battait comme un tambour fou. Sa signature s’imprimait déjà dans son esprit sur le coin d’une toile : E. Hopper.
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